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Style et colère : juger les formes de vie (littérature, théorie sociale) – Marielle Macé

Quand :
9 juin 2016 @ 15 h 00 min – 17 h 00 min Europe/Paris Fuseau horaire
2016-06-09T15:00:00+02:00
2016-06-09T17:00:00+02:00
Où :
EHESS, 105 bd Raspail, salle 13
105 Boulevard Raspail
75006 Paris
France

Il nous faut « d’autres formes de vie », « d’autres manières de vivre » : voilà comment se formulent aujourd’hui volontiers nos exigences politiques. Ce séminaire entend éclairer ces exigences, en pensant les deux dispositions qui les sous-tendent : celle qui consiste à regarder la vie comme un engagement de formes (des manières d’être et de faire, des gestes, des rythmes, des modes relationnels…), et celle qui consiste à se risquer à poser sur ces formes un regard critique, à engager son jugement et, souvent, sa colère. On entend également montrer que ces dispositions ont une histoire, et que leur articulation est peut-être même définitoire de la vie moderne.

On procédera par études de cas, afin de construire une histoire de cette critique stylistique de l’existence. On lira d’abord plusieurs textes de James Agee qui, avec le photographe Walker Evans, est à l’origine du « style documentaire » et décrit les conditions de vie et de travail de l’Amérique en crise des années 1930, à la fois pour dénoncer ces conditions et pour honorer les vies qui les traversent. On étudiera les textes d’Adorno (notamment les Minima moralia), où s’articulent exemplairement la compréhension de la modernité comme « forme de vie » et la déploration, et même la détestation, de cette modernité – Adorno nous encourageant précisément à réfléchir à ce qu’il peut y avoir de légitime dans le fait même de critique une forme de vie (non une vie, mais une forme de vie). On explorera deux exemples majeurs de « rage poétique », celle qui animait Pasolini (notamment dans La Rabbia, film documentaire mobilisant puissamment la poésie) et celle, tout autre, qui animait Francis Ponge dans La Rage de l’expression, qui a inspiré Bourdieu dans sa façon de définir ce qu’est précisément la « compréhension » en sociologie. On s’interrogera enfin sur les enjeux de la qualification et de la disqualification, lorsqu’elles portent sur les modalités de notres expérience commune, notamment à travers la lecture de l’essai consacré par Jean-Christophe Bailly à la « forme-pays » qu’est la France (Le Dépaysement), et à travers une réflexion guidée par la sociologie pragmatique, attentive à la complexité de la tâche même de qualifier et à ce qui la lie à l’intention de « rendre la réalité inacceptable » (Luc Boltanski, De la Critique).

Le but ultime du séminaire est, à partir d’une culture à la fois littéraire et sociologique dont on souhaite montrer la solidarité, de défendre cette idée : voir les formes de vie (voir cela de la vie), et se donner pour tâche de bien les décrire (ce qui suppose de s’engager soi-même dans le style, avec patience, et sans reculer devant les enjeux axiologiques de cette tâche), c’est toujours aussi en réclamer d’autres.

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