Suite à une conversation
Ces discussions – Louis Marin appellerait ça des entretiens d’art – il nous en arrive relativement régulièrement, et pour cause, au delà d’être au cœur de notre pensée sur l’art, notre relation est le souffle de ces entretiens.
Même si nos conversations n’ont pas à chaque coup cette intensité, c’est comme deux joueurs de football qui ont l’habitude de jouer ensemble, quand un ballon traîne on se le renvoie par réflexe, avec nonchalance, sans en avoir l’air et pourtant toujours avec justesse, dans les pieds de l’autre, quelques centimètres anticipés pour arriver au moment où la trajectoire du ballon croise ses déplacements.
D’autres fois, plus rarement – une rareté d’autant plus précieuse qu’on sait la préserver – la conversation prend en intensité, nos gestes deviennent plus vifs, nos mots plus tranchant, la discussion prend une tournure parrêsiastique. Notre engagement dans le jeu de la conversation devient plus fort. On est tous les deux nettement plus concentrés, la dimension phatique de notre échange s’amenuise. Le lieu de la discussion monte du fond de notre cavité buccale, la tension monte, les coups portés par notre langue ne sont pas retenus. À ce moment, la conduite de l’échange prend une part primordiale, malgré la vitesse, la machine conversationnelle ne doit pas s’emballer, le ton ne doit pas monter et l’attention portée à l’autre doit être à son comble. C’est toute la difficulté. Face à l’engagement que ces instants impliquent, on peut vite se laisser submerger, camper sur ses positions et oublier qu’un entretien qui ne se fait pas vers l’autre n’a pas lieu d’être. Même et surtout si nos pensées diffèrent, nos mouvements l’un vers l’autre, plus que maintenus, doivent être accentués. Jamais rompus. On doit pouvoir dire ce qu’on a dire, dire la vérité sur l’autre, sur le sujet, sur le lieu de la conversation, sans équivoque et néanmoins sans crainte de le blesser.
Au delà d’un anachronisme, ce qui m’intéresse particulièrement c’est cette possibilité laissée à l’autre de parler et comment cette prise de parole va être saisie. Pour que l’autre puisse dire ce qu’il pense sans détour, il faut pouvoir l’entendre et je dirais plus que ça, l’appeler. C’est lui donner une forme privilégiée d’accès à soi. Et du côté de celui qui parle, la responsabilité est grande, il s’agit, parfois avec dureté et vivacité, de donner son avis contre, de s’opposer pour aider, pour diriger l’autre. Durant un instant, une forme de violente bienveillance est acceptée. Dans notre relation ce jeu va dans les deux sens, lui comme moi attendons chacun de l’autre cette franchise. C’est assimilé à une sorte d’honnêteté intellectuelle, peut-être même à une forme de validation, face à une complaisance polie.