Louis Bec et l’épistémologie fabulatoire, le cas des sciences paranaturalistes
Note sur la motivation de ce travail. Cette recherche sur Louis Bec et l’épistémologie fabulatoire s’inscrit autour de la question centrale de mon mémoire qui est :
Comment est-ce qu’on se propose de favoriser, chez le lecteur/regardeur, l’apparition et l’évaporation de germes d’instabilité, dans la construction d’un article scientifique ? Tout cela sans se restreindre nécessairement à l’écriture. Tant est si bien qu’on puisse jamais s’y restreindre.
(Pour avoir un aperçu de la façon dont je vais tenter d’articuler l’épistémologie fabulatoire et le cas des sciences paranaturalistes avec cette question, voir le pdf.)
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A/ Louis Bec et l’épistémologie fabulatoire, le cas des sciences paranaturalistes
A.1/ Eléments d’introduction
a) De quoi on va parler ?
Je vais vous parler aujourd’hui d’épistémologie fabulatoire. L’épistémologie fabulatoire est une discipline développée par Louis Bec, artiste, poète et philosophe né à Alger en 1936 et vivant à Sorgues. C’est une discipline dont on lui revendique la parentée. Depuis une quarantaine d’années il écrit de nombreux textes, réalise de nombreux travaux sur papier (dessins, collage, schémas, croquis, etc.), images de synthèse et quelques rares installations. L’ensemble de ces artefacts est réalisé au sein de l’Institut Scientifique de Recherche Paranaturaliste qu’il a fondé en 1972, à Cabrières d’Aigues, un petit village près d’Aix en Provence dans le Luberon, et qu’il a ensuite déménagé à Sorgues, près d’Avignon.
b) Quelles sont les conditions et motivations de ce travail ?
Cet exposé que je vous présente aujourd’hui, il s’inscrit dans le cadre d’un travail autour de la conduite de l’attention dans un contenu scientifique. Et particulièrement, comment on articule de l’écrit avec autre chose que de l’écrit dans les sciences (humaines en particulier).
Je m’attacherai à une description de surface, une description formelle qui se voudra plus compréhensive qu’explicative.
c) Comment j’ai connu Louis ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer Louis Bec a plusieurs reprises, la première fois à Prague, en novembre 2007, dans le cadre du colloque Mutamorphosis, ensuite pendant l’anniversaire des 85 ans de Yona Friedmann1 et une quinzaine de jours plus tard pendant la soutenance de mon diplôme et enfin à Aix en Provence, en 2009, pendant un colloque. À l’époque, je terminais mon cursus aux beaux arts de Poitiers et je passais pas mal de temps à suivre Annick Bureaud dans des expos, des colloques et lieux divers, où j’ai eu l’opportunité de rencontrer nombre d’acteurs des milieux arts et techno-sciences. (commissaire d’exposition et critique indépendante et directrice de Leonardo Olats (site de publication dans les domaines arts, sciences et technologie)).
d) Quels sont les documents qu’on a ?
Il y a peu de documents concernant Louis Bec. C’est quelqu’un qui a bénéficié d’une faible visibilité hors du milieu arts et techno-sciences. Plusieurs éléments ont pu impacter sa visibilité. Il n’était à ma connaissance pas présent sur le marché de l’art, sans galerie commerciale et avec un travail pas forcément très facile d’accès ni très spectaculaire ou centré sur la visualité (malgré l’abondance de dessins). Il n’a pas non plus montré un grand intérêt pour le marché de l’art et cette logique de la visibilité. Dans le milieu scientifique académique et professionnel, je ne lui connais qu’une publication dans un ouvrage (il faudrait faire une recherche détaillée), publié à la suite du colloque Artificial Life II à Santa Fé en 1990, à la suite d’une invitation de Chris Langton (Chris Langton, fin 80, début 90, ça a été un des pionniers sur ce champs de recherche de la vie artificielle). Il serait intéressant de savoir quels étaient ses relations avec des milieux scientifiques essentiellement académiques et professionnels. Finalement c’est dans le milieux arts et techno-sciences qu’il a bénéficié du plus de visibilité. Notons aussi que Louis Bec est principalement connu dans les milieux initiés et assez peu chez les jeunes générations.
L’année dernière Ciant a publié une monographie sous format livre électronique. (Ciant = International Centre for Art and New Technologies à Prague) C’est un livre qui a été fait maison, il fait plus de 700 pages, il y a beaucoup de matières, beaucoup de textes, beaucoup d’images. Et c’est vraiment une bonne chose d’avoir réuni cet ensemble, parce qu’avant ça il y avait vraiment très peu de choses en circulation. Quand je dis que c’est fait maison ça veut dire que les textes et les dessins par exemples sont souvent non datés, on ne connaît pas le format, on sait pas forcément dans quel contexte ils ont étés produits, il y a pas mal de coquilles, et d’un point de vue technique d’édition numérique, il y a pas mal de problèmes de standardisation, ça s’adapte mal aux différents formats d’écrans ou de systèmes d’exploitation, plusieurs liens ne fonctionnent pas entre autres. Il n’est pas exclu qu’à certains moments, cette négligence soit volontaire, mais à ce sujet, difficile de s’étendre plus longuement.
En plus de cet ouvrage, je dispose d’un document sous forme de photocopie transmise par Annick qui le tient de Louis (et qui ne figure pas entièrement dans la monographie), d’un enregistrement audio que j’ai effectué à Aix en Provence pendant une présentation de son travail pendant un colloque, ainsi que deux enregistrements vidéos disponibles sur youtube (un discours d’ouverture pour un autre colloque et un très court entretien filmé).
1 C’était en juin 2008, il s’agissait également de l’anniversaire d’Annick Bureaud et de OLATS (l’Observatoire Léonardo des arts et des technosciences) organisé chez Roger Malina.
Roger Malina est astronome et éditeur. Il est directeur du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille et l’ancien directeur de l’Observatoire de la NASA EUVE à l’Université de Berkeley. Il est aussi directeur de la revue Leonardo éditée chez MIT Press. Leonardo c’est une revue crée à la fin des années 60 qui traite des rapports entre les arts, la musique et les sciences (dures essentiellement) et particulièrement des applications des sciences contemporaines dans ces domaines.
A.2/ L’épistémologie fabulatoire comme cadre
Louis Bec ne s’est jamais exprimé longuement sur ce qu’est l’Epistémologie Fabulatoire. Disons qu’il l’a plutôt développée en inscrivant ses activités dans ce cadre et en développant particulièrement un ensemble de sciences paranaturalistes (voir tableau ci-dessous). Il nous donne des indices, nombreux, éparses, relativement stables dans leur ensemble, sans pour autant développer de façon systématique, dans le détail, ce que c’est. Disons que ça se développe comme une sorte de grande catégorie, comme une discipline. Il s’inscrit dans ce champs de l’épistémologie fabulatoire, comme d’autres s’inscrivent dans celui de la sociolinguistique par exemple. Il s’est servi de cette idée d’une épistémologie fabulatoire comme d’un cadre et c’est à l’intérieur de ce cadre, de ce champs, qu’il a travaillé la zoosystémie et l’upokrinoménologie par exemple, qui appartiennent aux sciences paranaturalistes. Voilà ce qu’il nous dit p. 217 (chapitre 4.3/ Introduction artaxonomique) Si l’épistémologie classique désigne, habituellement, l’étude critique des connaissances, des sciences et plus largement du savoir et vise à en déterminer les origines logiques, leurs portées, l’épistémologie fabulatoire, par contre, propose tout simplement la liberté et la faculté de palabrer sur la connaissance, de la malaxer, de la triturer, d’en élargir les limites, de l’ouvrir à d’autres logiques, à la gourmandise des mots et à leur invention.
Fabulatoire vient de fable et décrit une faculter de fabuler.
Plus loin : Si l’épistémologie fabulatoire postule qu’il n’y a pas de connaissance vivante, sans renforcements fabulatoires, c’est qu’elle vise à introduire au cœur des méthodologies une part d’imagination exploratoire, qui renvoie à la « fantaisie exacte » que préconisait déjà Léonard de Vinci.
Un affabulateur est donc une personne qui compose les épisodes d’un récit, d’une fiction, ou qui procède à l’arrangement des faits, selon des scénarios différents. Un affabulateur ouvre donc un nouvel espace de simulation et de dissimulation logique à ceux qui l’écoute afin de prolonger et d’enrichir la fabulation. Il provoque un « vouloir connaître phénoménologique et épistémologique », fasciné par les nouvelles configurations logiques et fantasmatiques qui se nouent et que projettent une pensée en mouvement.
Malgré la nature relativement générale de ces courts passages, on retrouve facilement l’opposition apparente des motifs <scientificité / réel> et , qui est dans le nom même de la discipline épistémologie fabulatoire qui peut s’appréhender à première vue comme une oxymore. D’un côté le réel, le scientifique, le sérieux. De l’autre le fictionnel, le fabulatoire, l’exploratoire. Entre les deux, ou sur les deux, ou à partir des deux, ou traversant les deux, ce champs d’expérimentation chargé d’articuler, de faire coexister, l’apparente contradiction.
A.3/ Le récit des sciences paranaturalistes
Étant donné qu’on a relativement peu de temps, je vais pas entrer et plonger dans les détails des sciences paranaturalistes en tant que telles, mais je vous propose plutôt de rester à l’échelle plus englobante de l’épistémologie fabulatoire, en prenant comme exemple (parmi d’autres ? hypothétiques ? supposés ? ressemblant ? (Eco, Ponge, musique, Hamilton, Becker>Haacke)) les sciences paranaturalistes sur lesquelles travaille en l’occurrence Louis. Appréhender les sciences paranaturalistes sous l’angle de l’épistémologie fabulatoire donc, en particulier à la façon dont se construit le récit des sciences paranaturalistes à partir d’une étude de cas de quelques documents. Si je dis qu’on va appréhender le travail de Louis Bec comme un exemple, comme une voie, parmi d’autres donc, exploitée en épistémologie fabulatoire, c’est que je vais partir du présupposé, du moins pour l’instant, que cette discipline a sa place à côté des autres disciplines scientifiques. Pas aujourd’hui mais dans les semaines à venir, je consacrerai une partie à mon mémoire à l’analyse, à une mise à l’épreuve, de la scientificité de l’épistémologie fabulatoire à travers une autre étude de cas qui cette fois ne relèvera pas de Louis Bec ni des sciences paranaturalistes. Mais pour l’instant, revenons à nos sciences paranaturalistes et plus particulièrement à comment elle nous sont comptées.
Avant d’aller plus loin, je vous propose de remplacer ces deux mots épistémologie et fabulatoire par, non pas des synonymes, mais deux termes du même champs sémantique, à savoir création et scientifique. On se permet, d’une certaine manière, une montée à un niveau de généricité supérieur. On remplace épistémologie par science et fabulatoire par création. De l’étude des sciences, de la connaissance et de leurs méthodes que constitue l’épistémologie, on retient le caractère scientifique. Du caractère imaginaire, fictionnel, extrapolatoire et non nécessairement référentiel de la fabulation, on retient l’idée de création. Et de cette manière on transforme notre oxymore <l’épistémologie fabulatoire>, en une action et qu’est-ce qui s’offre à nous et bien la question de la création scientifique. En se posant cette question de la création scientifique et en l’envisageant comme un tout indissociable et bien on va s’épargner deux catégorisations avec une articulation en opposition que sont l’art d’un côté et la science de l’autre. Il ne s’agira pas dans notre exposé d’art ou de science ni d’art et de science mais bien de création scientifique, envisagée comme un tout.
Quelques phrases plus haut, avec l’épistémologie fabulatoire, on marchait à la lisière des sciences dans un univers somme toute marginale et farfelue. En reconstruisant la question sous l’angle de la création scientifique on quitte les faubourgs ; et en s’attachant tout particulièrement à la question de la construction du récit scientifique on s’installe dans l’atmosphère de la salle de conférence et des couloirs des laboratoires. On s’installe avec ce qui constitue une partie du quotidien de tout scientifique quel qu’il soit. Et dans ce grand domaine, aujourd’hui pour nous cette vaste question, de la création scientifique, et bien on va s’intéresser à la question de la construction d’un récit scientifique. Et pour ça, on va se pencher en particulier sur le texte Éléments d’épistémologie fabulatoire.
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